Interview

« Summer » :

BRUNO DE DANGERHOUSE

Personnage incontournable de la scène rock lyonnaise, même si sa légendaire modestie nuancerait cette appellation, Bruno Biedermann est un résistant. Disquaire indépendant, il gère DANGERHOUSE, un shop qui regorge de vinyls de rock au sens large, avec une préférence pour le rock 60′s, le garage, le surf, le psyché, la soul et tout ce qui fait de bien aux oreilles. Partenaire de notre soirée LE BAL !, il vous accueille dans son magasin pour vous remettre un badge-invitation pour la soirée, mais a quand même trouvé le temps de répondre à quelques questions…

LES BADGES INVITATIONS POUR LA SOIRÉE LE BAL ! DU VENDREDI 12 JUILLET SONT À RETIRER AUPRÈS DE BRUNO À DANGERHOUSE !

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LE BAL !
VENDREDI 12 JUILLET À 19H AU TRANSBORDEUR
JACK OF HEART + CANNIBAL MOSQUITOS + HULA HOOP + GAMING + FOOD TRUCK + TOUS EN TONG DJ CREW VS. MAGIC FABY !

Badge

Salut Bruno, ça fait maintenant un peu plus de vingt ans que tu « gères » DANGERHOUSE. Ça vient d’où cette passion pour les disques ?
Rapidement, une hospitalisation en 76/77, un « Best » avec Rotten en couv’ dans les mains pour la convalescence, « Fun House » de la part d’un ami de mes parents pour le Noël de la même année, « Who’s Next » qui traînait dans la famille et c’est parti.

Pourquoi tu es tombé dans le rock’n'roll plutôt qu’autre chose, premiers gangs et premiers groupes ?
Né en 64, Villeurbanne, fils unique, réclamé une guitare Paul Beuscher en 77 pour épater les filles au collège, la même que Pete Townshend… Avant de m’apercevoir qu’une gratte électrique dans la cours du lycée, sans ampli ça rameute pas grand monde ! Beaucoup de groupes bancals et attachants dans les années qui ont suivi, les Crabs et les Universal Vagrants étant les deux qui ont eu un poil de visibilité.

Comment et pourquoi tu es passé un jour de sacré guitariste à gérant de commerce ?
La rencontre de deux personnes dans les mid 80′s via le milieu du disque, Hugues et Jocelyne, pour qui je travaillais dans le milieu du merchandising à mes heures perdues au temps des Crabs, un peu l’équivalent de Modern City aujourd’hui, on fabriquait des badges à tour de bras… Leur structure a acheté des locaux pour être plus à l’aise, un local commercial était dispo sur la rue, l’idée est arrivée assez vite et Dangerhouse à ouvert en juin 1989, et j’ai racheté le magasin en 93 après avoir été salarié pendant 4 ans.

Comment ça marche un disquaire moderne aujourd’hui ?
C’est une vigilance de tous les instants sur les sorties, sur l’actu de tes réseaux, sur les live à venir dans les salles de ta ville pour anticiper les approvisionnements… C’est aussi un gros travail de gestion du stock, notamment sur les lots d’occasion… L’exigence étant surtout d’avoir le souci de garder la flamme, de savoir encore s’émouvoir sur une sortie, une découverte, une réédition… C’est un métier fabuleux, je n’aurais sans doute pas pu rêver mieux, les seuls inconvénients non négligeables étant une insécurité financière permanente et un rythme de travail qui peut paraître tranquille, mais qui en fait représente 6 jours d’ouverture par semaine, sans compter le taf à la maison de gestion et de communication, et le temps passé à chiner les week ends et les vacances…
Mais je n’échange pour rien au monde… Beaucoup de choses se sont greffées sur l’activité du magasin, des chroniques radio hebdomadaires via Rock à la Casbah, émission reprise de manière intense sur les ondes et le web, le partenariat avec les Grriottes Girrls, magnifique équipe de roller derby lyonnaise, des partenariats réguliers de soirées et de concerts, la création récente du label maison Dangerhouse Skylab, les gestions du site Dangerhouse Record Store et de la page Facebook Bruno Dangerhouse, on tente aussi d’envisager une VPC correcte pour cette fin d’année… Je charge la mule de plus en plus au niveau de mon planning, je peste tant que je peux d’avoir des centaines de projets et d’en voir aboutir un sur dix, mais j’ai l’impression de mourir si il ne se passe rien pendant deux jours… Heureusement, j’ai la chance d’être extrêmement bien entouré, je peux me reposer sur des gens fiables et fidèles, notamment Nadine qui est une assistante hors-pair qui ne compte pas ses heures pour mettre en forme mes idées tordues, me rappeler à l’ordre et me remettre en place de temps en temps!

Et pour toi, le rock’n'roll, ça a encore un sens aujourd’hui ?
Non, le mot est devenu détestable, j’ai l’impression de l’entendre dans la bouche des mêmes qui crient « à poil! » dans les concerts… Néanmoins rien trouvé d’autre pour remplacer efficacement, d’ailleurs, je lance un appel, si quelqu’un a une idée brillante pour décrire en un ou deux mots cette musique fabuleuse qui nous tient en vie, universelle, honnête, jouée sincèrement par des êtres humains qui savent pertinemment que tout ce cirque est extrêmement vain, tout en étant vital et impérieux… Il faut DE PLUS une terminologie réellement transversale, qui soit valable aussi bien pour le punk rock que la soul, en passant par le jazz ou le garage… Une des grandes fiertés que je retire de Dangerhouse est de voir régulièrement repartir des clients avec des sacs incroyablement hétéroclites, où se côtoient Throbbing Gristle, du hardcore et les Kinks, les Liminanas et Colin Stetson, du garage australien et des field recordings Mississippi, de la BO improbable, du free jazz et les dernières ref Trouble In Mind ou Born Bad…

Et en dehors de ce bin’s commerce + passion, il y a d’autres trucs qui t’intéressent dans la vie ?
Oui, des tonnes de trucs qui essaient de survivre dans les fissures laissées vacantes par Dangerhouse… En premier plan, prendre soin des gens que j’aime, je culpabilise régulièrement d’être aussi accaparé par ce boulot…
Ensuite, quelques indices en vrac, calamars, poulpes, supions, encornets, libraires, libraires, livres, libraires, sable, coinche, chien, Guinness, brocantes en terre inconnue, pimientos del padron, train, contemplation, Madrid, Normandie, Naples, Gruissan, dormir, la face glorieuse et en perdition du football, les restos de mes potes, peaufiner ma mauvaise foi et mes vannes foireuses, partir de chez moi, revenir chez moi, aller chez les autres, partir de chez les autres, penser que ça peut TOUJOURS être mieux, avoir l’impression excitante de servir à quelque chose, ne pas répondre au téléphone…

Et avec ça tu as le temps d’écouter des disques chez toi ? Tu ramènes du travail à la maison ?
J’ai chez moi des milliers de disques qui ne tournent jamais à mon grand désespoir… On touche là aussi un des soucis de mon boulot, c’est qu’une fois la journée finie, ton esprit et ton corps ont besoin de pleins de trucs, mais surtout pas d’une nouvelle décharge de watts… à la maison, c’est plutôt papotage ou Radio Classique pour faire snob, France Inter pour faire bobo, le bruit des casseroles… Je reconnais que j’ai aussi beaucoup de mal à mon âge avancé pour ressortir voir des concerts tard dans la soirée… Appel aux gens concernés, passez en politique londonienne, faites jouer des groupes à 19h ou 20h, c’est chouette et ça arrange tout le monde…Cela pose-t-il un problème technique ?

Tu sais que j’ai toujours considéré ton métier comme le plus beau métier du monde…en gros, tu es un passeur pour les jeunes générations, et si tu pouvais convertir le grand public à l’Histoire du rock, quels sont les cinq disques que tu conseillerais pour évangéliser la planète ?
Pas possible, ça change tous les jours…Trop de disques incontournables, un minimum de 50 LP’s par genre musical pour avoir un paysage cohérent qui puisse se dessiner… De plus , je déteste ce principe qu’on se prend dans la gueule ces dix ou quinze dernières années d’établir des listes de bibliothèque idéale, discothèque idéale, putain chacun ses émotions, ses claques et ses détestations , on arrive au degré ultime de la décérébration et de la fainéantise intellectuelle… Si je te dis que le premier Velvet est un grand disque, ce n’est même plus une porte ouverte que j’enfonce, on est à la limite du lieu commun de PMU aujourd’hui… Lorsque l’on me demande conseil à Dangerhouse, je fais toujours un préliminaire pour capter la sensibilité et l’orientation de la personne qui est en face de moi, quel background a t-elle déjà, et dans quelle direction souhaite t-elle évoluer… a t-elle envie d’être bousculée, ou confortée?
De plus, les générations actuelles sont extrêmement à l’aise dans le cyber-monde, et n’ont absolument pas besoin de moi pour se faire bourrer le mou sur les soi-disant « incontournables »… Mon rôle va plus être de mettre en lumière des disques imparfaits, qui n’ont pas eu la chance d’être mis en lumière, des ratages géniaux, d’aller chercher dans des catalogues souterrains des perles oubliées, et de calquer aussi cette position pour les scènes actuelles, hors de question de se rouler dans le vintage (autre mot partant d’une bonne intention et devenu détestable, au même titre que l’expression « Culte », qui mérite aujourd’hui 6 mois de cachot).

Et enfin, toi, quels sont tes cinq disques préférés ?
Nom de Dieu, tu la veux vraiment ta liste ?

Et c’est quoi les projets pour Dangerhouse dans les semaines qui viennent ?
Ranger et faire le ménage.

www.dangerhouse.fr

Propos recueillis par Cyrille Bonin.

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Crédit photo 2 : Yann Samain / Rue89Lyon